scénario

Le Combat des Chefs

A la fameuse école de cuisine de la Mère Poularde, chaque année c’était le même chose : il se formait deux camps. Invariablement, certains fondaient pour les fondants, les moelleux, les glaces, les confitures, les gelées, les mousses, les purées, bref pour tout ce qui était doux et suave telle une caresse sur la langue. Les autres craquaient pour les craquants, les biscuits, les craquelins, les meringues, les pâtés en croûte, les croustades, les chips, bref pour tout ce qui se croquait à belles dents. Chaque élève choisissait son camp et ainsi la couleur de son tablier : vert ou noir. Et on n’en changeait plus.

Entre les deux camps l’ambiance était frigorifique. Elle tenait d’abord aux aliments que chacun devait travailler. Poisson, bananes, pommes et fruits des bois pour les uns, panure, côtelettes, concombre et chocolat pour les autres. On n’en changeait pas. On s’insultait, en plus. On vantait les mérites de sa propre partie, oubliant que l’une et l’autre se complétaient si bien et étaient indispensables à tout bon repas.

« Le moelleux, c’est mieux !», disaient les chefs cuistots tenant du credo de la douceur.

« Mais ça n’a aucune tenue en bouche ! », répliquaient les autres, la toque vissée sur la tête, une miche de pain dorée à la main.

« Vas donc hé patate ! »

« Tu veux mon poing dans la poire ? »

BIM !!!

Personne ne vit venir la tomate blette qui s’écrasa contre  un tablier noir. La miche de pain prit le chemin inverse, manquant d’éborgner un cuistot en tablier vert. Ce fut le signal. Tout ce qui était mobile se mit à voler dans la cuisine. Comme si le bâtiment entier était d’un coup parti en apesanteur : œufs, oranges, courgettes, farine, pâtes, saucisses, épices, huile, vinaigre, on se jetait tout ce qu’on trouvait.

A la fin de la bataille, il n’y eut pas de gagnants ; que des cuisiniers tout tachés qui, pour réussir le service du soir, durent envoyer deux apprentis chez l’Italien du coin. L’un fut chargé de rapporter les pizzas croustillantes… et l’autre le tiramisu.

Catherine Fattebert