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« Réveils »

Maya jette un œil à travers l’entrebâillement de la porte. Elle découvre une cuisine couverte de carreaux rouge-orangés du sol au plafond avec en son centre un escalier en colimaçon blanc. Au fond de la pièce, une silhouette s’affaire devant les fourneaux. Maya s’approche prudemment et reconnaît les traits familiers du visage qui se retourne pour l’accueillir. Sa grand-mère lui sourit, elle prépare de la confiture aux abricots – sa préférée. Elle est maintenant seule, dans un grand pré d’herbes vertes et hautes, elle court, à toute vitesse et semble fuir quelque chose qu’elle ne peut distinguer. Les herbes de plus en plus denses la retiennent, elle redouble de force pour ne pas ralentir. En sueur, encore haletante, elle ouvre les yeux. L’heure sur son radio-réveil indique qu’elle sera en retard au bureau. Elle continue sa course. Plus qu’une journée avant les vacances. Elle rêve de longues parties de Scrabble sous la véranda avec Clém, de siestes diffuses sur le vieux canapé bercée par les lectures à haute voix d’Hortense et des lasagnes trop cuites préparées par Louise.

Ça tourne, dans sa tête, ça tourne. Les gouttes d’huile essentielle, les tisanes ayurvédiques, les nombreux exercices de respiration n’apaisent pas ses angoisses. Clém déborde dans son lit. Comment va-t-iel payer ses factures à la fin du mois ? Iel se tord dans tous les sens, tente une posture de yoga. N’y arrive pas, se sent nul·x. Une douleur lancinante dans son bas-ventre lui rappelle brutalement la présence de ses syndromes prémenstruels. Iel allume son téléphone, tentant de chasser les pensées qui lui remplissent le crâne, enchaîne les vidéos, s’y perd, c’est infini. Aux abonné·x·s absent·x·s depuis quelque temps, iel appréhende de revoir Maya, Louise et Hortense. Et si elles lui reprochent son absence ? Dans le brouillard, difficile de percevoir si iel trouve finalement le sommeil au petit matin. La sonnerie de son portable retentit, ça tourne encore – iel snooze.

La chambre est plongée dans une douce lumière matinale. Des rayons de soleil pâles percent les rideaux de lin accrochés à la petite fenêtre. Emmitouflée sous la couette, Hortense somnole. Des ombres dansent sur les murs, ses mains se mêlent à cette parade, jouant avec les reflets dorés. Les mains de Louise les rejoignent pour une chorégraphie envoûtante. Une balade amoureuse, dessinant les traces de leur nuit passée ensemble. L’empreinte du corps de son amante est encore tiède sous les draps. Son odeur habille légèrement sa peau. Suspendue hors du temps. Les avions volent bas dans le ciel. Pour elle, c’est le signe du printemps qui s’installe. Elle repense à la nuit où elle a déclaré sa flamme à Louise. Toutes les deux, elles avaient veillé tard sous la véranda, à regarder les étoiles, après que Maya et Clém se soient couché·e·x·s, elles avaient discuté toute la nuit, puis leurs bouches et leur corps brulants de désirs s’étaient trouvés et depuis ne s’étaient plus quittés. Embuée de ce chaud souvenir, un sourire au coin des lèvres, Hortense se lève et commence à préparer son sac de voyage.

Louise entrouvre les yeux, une odeur de pâtes et de fromage grillé lui chatouille le nez, derrière elle, dans l’âtre, le feu crépite. Iels sont touxtes là. Les lasagnes risquent d’être un peu brûlées. Les quatre ami·e·x·s ont pris la route en direction de la campagne. La tante de Clém leur prête sa vieille bâtisse en pierre au milieu des champs de lavande et des arbres fruitiers. Iels ne se sont pas revu·e·x·s depuis longtemps, mais cette maison c’est leur point de ralliement, pour recharger les batteries, se retrouver. Un lieu hors du temps, comme dans un rêve.

Charlotte Olivieri